Malgré des avancées significatives, la réduction des inégalités est lente et les femmes constatent très majoritairement un haut niveau de discriminations. Selon le rapport annuel 2025 du Haut Conseil à l'Égalité (HCE), 83 % des femmes estiment ainsi ne pas être traitées à égalité sur le marché du travail. Le HCE note également que des inégalités de traitement dès le plus jeune âge à l’école ou à la maison rejaillissent ensuite dans le monde du travail. Le 10 mars, Vivement lundi !, le nouveau rendez-vous d’Eurécia Média a donné la parole à Alexia Anglade (Lumières s’il vous plait), Valérie Servage (BNP Paribas) et Martin Souillés-Debats (Artemisia). Aidés par le public réuni sur le campus d’Eurécia à Castanet-Tolosan, les trois intervenants ont analysé l’impact des stéréotypes et ont partagé leurs pistes d’action pour transformer profondément et durablement le monde du travail.
Les stéréotypes entretiennent les stéréotypes
“J'ai l'habitude de dire que nous sommes tous et toutes sexistes !”. Une manière de rappeler, pour Alexia Anglade, coach certifiée sexisme et parité, formatrice et conférencière, que l’éducation joue un rôle fondamental dans la transmission des stéréotypes de genre. Dès l’enfance, des messages implicites et explicites façonnent les comportements et les aspirations : les jouets, le langage, l’école, et plus tard la communication et les médias, influencent la perception des rôles masculins et féminins. Ce conditionnement précoce a un impact durable sur les choix d’orientation puis de carrière, renforçant des inégalités structurelles et générant insidieusement du sexisme ordinaire. Souvent invisible, celui-ci repose sur ces stéréotypes tolérés et s’exprime à travers des remarques anodines, des compliments inappropriés ou encore une répartition genrée des tâches professionnelles. Un simple « ma belle » ou « tu es le rayon de soleil de l’équipe » peut sembler bienveillant mais contribue à limiter les femmes à des qualités non professionnelles. “Tant qu’on parle du physique, on ne parle pas des compétences” rappelle Alexia Anglade. “Il faut démêler ce qui est sexiste ou non. Tout n'est pas sexiste. Pour savoir si quelque chose l’est, si vous avez un doute, il y a une question très simple : est-ce qu'on aurait dit ou est-ce qu'on aurait fait la même chose si j'étais un homme ? Et là, vous avez votre réponse ! Si vous dites oui, cela veut dire que le propos est peut-être déplacé et inacceptable”.
Des biais qui influencent la confiance en soi
Ces stéréotypes prennent racine dans des schémas culturels et historiques bien ancrés. L’image de la femme douce et empathique, ou de l’homme ambitieux et courageux, façonne les attentes sociales et professionnelles. En entreprise, ces biais influencent la confiance en soi et la prise de responsabilité : les femmes ont tendance à hésiter à demander des promotions, tandis que les hommes osent davantage. Conséquence directe, un sentiment d’imposture émerge, générant autocensure, difficulté à envisager des postes à responsabilité et besoin excessif de légitimation. Ce cercle vicieux maintient les inégalités et renforce les croyances limitantes. « Tirez les bonnes cartes, lancez les dés, arrêtez de passer votre tour et d’attendre qu’on vienne vous chercher » conseille Alexia Anglade.
La question des inégalités femmes-hommes : une mission pour l’entreprise
Lutter contre les inégalités implique d’abord de comprendre comment elles s’installent. “Les garçons occupent en moyenne 80 % de l’espace physique et sonore dans les crèches, constate Martin Souillés-Debats, formateur, enseignant et coordinateur de projet spécialisé dans la lutte contre les stéréotypes de genre et les violences sexistes et sexuelles. Or, si on laisse beaucoup plus les garçons occuper cet espace physique et sonore, on peut se dire que tout au cours de leur vie, ils vont avoir un rapport à l'espace et à la prise de parole qui ne sera pas le même qu'une fille que l’on va beaucoup plus restreindre. D’ailleurs dans les crèches, on parle souvent de ‘coin dinette’, et cela veut dire, littéralement, que pour jouer, elles vont être dans un coin.”
Le point noir de l’orientation professionnelle
Ces habitudes nées des stéréotypes de genre influencent ensuite l'orientation professionnelle des jeunes femmes, limitant potentiellement leurs perspectives de carrière à des domaines traditionnellement considérés comme 'féminins'.
De là vient également la sous-représentation des femmes dans les métiers scientifiques et techniques ainsi qu’aux postes de direction. Une note écrite par trois économistes du Conseil d’analyse économique révèle qu’alors que les filles réussissent en moyenne mieux à l’école que les garçons - 85 % ont obtenu le baccalauréat contre 75 % en 2022 – et qu’elles représentent 55 % des étudiants et étudiantes à l’université, elles sont en revanche largement sous-représentées dans les filières scientifiques et techniques, et ce dès le lycée : 24,4% contre 43,6%.
Actionner tous les leviers
Valérie Servage, diplômée de l'École polytechnique et des Ponts et Chaussées, ayant travaillé au ministère de l'Économie et des Finances avant de rejoindre BNP Paribas témoigne : « Dans ma promotion, nous n'étions que 14% de filles, ce qui explique en partie les difficultés actuelles des entreprises à recruter des femmes dans les métiers scientifiques. » Aujourd’hui directrice Région Occitanie Banque Commerciale en France BNP Paribas, elle souligne le rôle crucial des entreprises dans l'évolution des mentalités, citant l'exemple de son groupe : « Notre ambition est claire : poursuivre nos efforts pour atteindre la mixité, lutter contre toute forme d’exclusion et briser les inégalités persistantes. Pour cela nous intervenants sur plusieurs fronts en même temps : le recrutement, la rémunération, la formation est enfin la promotion. Ainsi, pour atteindre notre objectif de 40% de femmes au COMEX et dans les instances dirigeantes , nous mettons en place des programmes de mentoring et de coaching. Par exemple, Boost Her Career vise à accélérer la progression professionnelle des femmes.'"
Cette conviction que l’entreprise a un rôle clé à jouer dans la réduction des inégalités de genre est partagée par Martin Souillés-Debats qui rappelle la nécessité d’un cadre clair : « Le milieu professionnel a cette chance de pouvoir instaurer un cadre et ainsi servir de lieu modèle dans la société ».
Quelles autres pistes d’action ?
La valorisation de rôles modèles féminins, une vigilance accrue face aux comportements sexistes et la nécessité d’un langage inclusif font partie des actions citées. Mais surtourt les intervenants et intervenantes ont souligné l’importance de sensibiliser les équipes à ces biais inconscients qui influencent les carrières, d’instaurer des formations spécifiques sur l’égalité professionnelle et l’inclusion, d’accompagner activement les carrières des femmes et de veiller à lever les freins qui empêchent les femmes d’oser se positionner, ou encore de transformer les pratiques managériales en recourant aux quotas si nécessaire. Enfin, sujet essentiel : lutter activement contre les violences sexistes et sexuelles dans l’entreprise, mais également économiques, qui peuvent être un frein majeur à l’indépendance professionnelle des femmes. En combinant ces différentes actions, l’entreprise peut devenir un véritable moteur de changement et contribuer activement à une évolution sociétale vers l’égalité entre les femmes et les hommes.
![]() | La soirée événement d’Eurécia Média propose d’explorer les défis et opportunités du monde professionnel. Parce que le futur du travail se construit à plusieurs, Vivement lundi ! vise à apprendre, analyser et inventer ensemble.
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Pour aller plus loin : Sur l’égalité professionnelle femmes-hommes vue par le ministère du Travail Sur la journée internationale des droits des femmes 2025 Sur le sexisme et sa progression en France Sur les facteurs explicatifs majeurs des écarts de salaires femmes – hommes Sur la persistance des inégalités professionnelles et la nécessité d’un « big push » visant à agir simultanément sur tous les fronts |