Sur notre blog Vie de Bureau, nous aimons donner la parole à des experts RH, management ou encore QVT. Aujourd'hui, nous avons le plaisir d'accueillir :
Sandrine Dorbes, spécialiste en stratégie de rémunération et avantages sociaux. Issue d’un parcours riche et varié et particulièrement plusieurs années d’expérience au sein d’entreprises du CAC 40, nous avons face à nous une vraie experte du sujet de la rémunération !
L’occasion de se demander si la rémunération n’est qu’une question d’argent.
Parole à l'experte !
Bonjour Sandrine, pour poser le cadre, pouvez-vous commencer par définir la rémunération ?
Effectivement il est important de définir ce qu’est la rémunération :
« La rémunération est la contrepartie financière d’un travail fourni »
En effet, c’est un coût pour l’entreprise et un gain pour le salarié. En théorie, nous parlons même de rétribution : elle peut être morale par exemple, on parle alors de reconnaissance ; ou financière, et dans ce cas on parle de rémunération.
Comment définir une bonne politique de rémunération ?
Premièrement, la politique de rémunération doit faire l’objet d’une réflexion de la part des RH mais en partenariat avec la direction de l’entreprise. En effet, l’entreprise poursuit des objectifs : devenir n°1 national, doubler le chiffre d’affaires, obtenir de nouvelles parts de marché… Les RH - et la question de la rémunération - doivent adapter leur politique pour servir les objectifs et la stratégie globale de l’entreprise.
Cela signifie que si la stratégie de l’entreprise évolue, la politique RH et la rémunération doivent évoluer ou en tout cas faire l’objet d’une réflexion pour être certain que cette politique colle toujours à la stratégie de l’entreprise.
Une politique RH peut avoir tout son sens pendant 1 an ou même 5 ans mais il arrive un moment où la politique n’a plus de sens. Il est primordial de se poser régulièrement et de prendre le temps pour se poser la question : « est-ce que ma politique RH sert toujours la stratégie de l’entreprise ? ».
Bien souvent, les services RH ont la tête dans le guidon et remettent cette réflexion à plus tard. Je recommande fortement de prendre du temps tous les 6 mois ou au moins tous les ans sur cette question stratégique.
La politique de rémunération doit être propre à l’entreprise. Je déconseille vivement de faire pareil que la concurrence ou le voisin parce que « ça marche chez eux ». Une politique mal adaptée risque de complexifier le pilotage RH.
Justement, quelles sont les conséquences d’une mauvaise politique de rémunération ?
Une mauvaise politique risque de générer de l’insatisfaction de la part des collaborateurs mais aussi de desservir les intérêts de l’entreprise.
Une politique de rémunération inadaptée va impacter l'engagement, la motivation, la rétention, mais aussi l'attractivité.
Si la rémunération n’est pas bien réfléchie et raisonnée, il y aura forcément des répercussions sur le climat social. Le sujet de la rémunération est un sujet délicat, qui est souvent source de tension chez les individus, c’est comme ça. Si la politique de rémunération présente des défaillances, il y aura une dissonance cognitive, les collaborateurs ne sauront pas se positionner, les managers auront des difficultés à le gérer, le pilotage RH deviendra complexe, la méfiance et la suspicion prendrons place… Bref, il y a un tas de risques et impacts au niveau RH !
Et concernant l’équité ? Cette notion est souvent mal interprétée en entreprise...
Oui, tout d’abord, il faut définir l’équité. On a tendance à la confondre avec l’égalité, alors que dans l’équité il y a une acceptation de l’inégalité. Il faut se poser la question « sur quels points on est prêt à faire la différence ? Sur quels critères ? C’est quoi être équitable chez nous ? ». Culture de l’entreprise, valeurs, usages… Il est important de poser le cadre et définir une philosophie ou des préceptes en amont de la réflexion. Définissez en interne ce que vous voulez et devez récompenser : ancienneté, évolution, statut, expérience… C’est une question de curseur.
En aval, jouez la transparence ! Une communication claire et transparente est puissante et aide à garder un sentiment d'équité. « Comment sont prises les décisions ? Avec qui ? Quelle est la politique choisie ? ... » Le collectif est légitime dans son souhait de comprendre et de respecter les règles. La transparence ne signifie pas de tout dévoiler. Par exemple, il est possible d’afficher aux collaborateurs une grille salariale par rapport au poste, à l’ancienneté, séniorité… selon vos critères, sans afficher le montant des salaires. Pour les collaborateurs cela donne une perspective d’évolution et donne aux managers un outil de pilotage des carrières et compétences. Lors des entretiens d’évaluation, le manager pourra alors avoir les arguments pragmatiques pour refuser ou accepter une évolution, proposer des formations en fonction des besoins et motiver son équipe à aller plus loin.
La rémunération n'est pas qu'une question d'argent et il est temps de considérer les collaborateurs comme des adultes !
Vous dites que la rémunération n’est pas qu’une question d’argent, pouvez-vous développer ?
Bien souvent, spontanément, quand on souhaite retenir un collaborateur désengagé sur le point de partir, on lui fait une proposition d’augmentation. Et ce n’est pas forcément la meilleure solution. C’est normal, on pense directement argent, c’est.... la facilité ! Alors que de creuser et chercher à comprendre pourquoi le collaborateur est désengagé est plus difficile, pourtant les leviers les plus importants sont de ce côté-là. Il faut se rappeler que l’engagement repose sur trois piliers :
- le sentiment que ce que je fais a du sens ;
- le sentiment que j'ai les moyens et l'autonomie nécessaire pour travailler ;
- le sentiment que la contribution est justement récompensée.
À ces trois piliers, j'ajoute deux notions essentielles : la confiance et la cohérence.
Ces piliers reposent sur "un sentiment". C'est donc très subjectif et voué à évoluer dans le temps.
Un collaborateur a pu être engagé hier et ne plus l’être aujourd’hui. Tout est relatif. On peut être engagé sur un projet mais pas aux valeurs de l’entreprise, engagé auprès de son équipe mais pas sur la vision de l’entreprise…
Lorsqu’on parle d’engagement, ce n’est clairement pas qu’une question d’argent ! Il faut certes que le collaborateur soit bien rémunéré mais il doit pouvoir évoluer dans un environnement cohérent, qui a du sens et avoir les moyens de travailler correctement.
C’est d’ailleurs ce que montre le sociologue Frédéric Hertzberg dans les années 70, en distinguant deux types de facteurs : les facteurs de satisfaction qui jouent sur la motivation et les facteurs de mécontentement. Si on travaille sur un facteur de mécontentement cela n’aura aucun impact sur la motivation, elle restera au même stade. Cependant, cela va jouer sur l’absence de démotivation.
Typiquement, si le collaborateur a une bonne opinion de sa rémunération, il ne sera pas démotivé. En revanche, quand la rémunération est un facteur de mécontentement pour le collaborateur, il est démotivé et ce n’est pas en augmentant son salaire qu’il sera plus motivé.
De plus, pour un collaborateur désengagé, qui n’est plus aligné avec son équipe, son manager, son entreprise… il va se sentir mal à l’aise : cela va lui coûter de travailler, car quand on est démotivé, tout est dur. Il y aura alors ce poids psychologique qui amène à se dire « quand même ce n’est pas beaucoup pour tout le mal que je me donne » qui découlera sur « Je ne suis pas bien payé ». Demain, si son manager lui accorde une augmentation, tout continuera de l’agacer ! Il ne supportera pas mieux son chef ou son équipe… la problématique de l'engagement n'est pas résolue par la rémunération.
Souvent le premier mois, il y a une satisfaction car c’est une marque de reconnaissance (éphémère), à la fin du mois, il voit sa fiche de paie plus élevée, il gagne en pouvoir d’achat mais le mois suivant il ne pense plus au gain mais à la lourdeur de son poste.
C’est pour ça qu’il est très important de creuser les vraies raisons pour lesquelles le collaborateur est désengagé, cela ne coute pas d’argent seulement du temps. Parce que la rémunération n’est pas qu’une question d’argent mais une question de cohérence, notamment sur les systèmes de reconnaissance dont je parlais plus haut.
Vous l'avez compris, la rémunération est un facteur de motivation au travail mais pas que ! Soucieux.se du bien-être et de l'engagement de vos collaborateurs ? Téléchargez gratuitement notre guide pour (re)motiver vos équipes !
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Plus concrètement dans ce contexte de crise, il y a une baisse d’engagement des salariés et en même temps économie plus fragile. Quels dispositifs conseillez-vous pour améliorer la rémunération ?
Je pense qu’il faut commencer par interroger les besoins des collaborateurs. Dans certaines entreprises, il y a la mise en place d’un service de télémédecine, des consultations de psychologues ouvertes aux salariés et leur famille. D'autres améliorent leur couverture mutuelle sur les médecines douces ou encore ont octroyé un budget complémentaire à leurs collaborateurs qui souhaitaient s’équiper de matériel pour faciliter le télétravail. Toutes ces solutions sont un réel gain pour les salariés et un coût pour l’entreprise, mais participent sincèrement à la qualité de vie au travail et donc à l’engagement des collaborateurs. Je le rappelle, les moyens sont un pilier de l’engagement.
Pour les entreprises qui souhaitent retenir leur effectif, susciter l’engagement sans gonfler la masse salariale, l'un des options peut être la semaine de quatre jours payée à 100%. Je mets au défi les entreprises de la mettre en place sur quelques mois et de revenir vers moi s'ils constatent une vraie baisse de productivité. Je paye le café si j’ai tort !
Je l’ai déjà observé : la semaine de quatre jours fonctionne. Les collaborateurs travaillent moins mais mieux ; il n'y a plus de place pour papillonner. Les collaborateurs sont plus performants et plus créatifs. Certaines études ont montré qu’on était vraiment productif moins de 3h par jour. A méditer !
Dans ce contexte comment vont évoluer les RH ?
Ce que je note, c’est que les crises suscitent deux types de comportements, et pas de manière équilibrée, on est loin du 50/50 :
- Le comportement le plus résiliant, voire « héroïque » qui aspire à plus de respect où on se dit « Ok, on traverse une crise, comment on peut faire évoluer nos manières de faire pour évoluer dans le bon sens et participer au développement de l’entreprise ». Malheureusement, la résilience ce n’est pas ce qui se passe le plus en réalité.
- En revanche ce qu’on voit en majorité, c’est un comportement où on se recroqueville sur ce que l’on connait. C’est le plus simple et le plus facile. Et malheureusement, comme on est surchargé de travail et de stress, on ne va pas prendre le temps de se remettre en question et de penser différemment.
Je pense que les RH doivent et vont évoluer là-dessus et s’inspirer de plus en plus des techniques de marketing où le collaborateur n’est pas considéré comme un enfant mais un adulte et surtout une cible. Il faut se poser la question « comment je mets en place mes actions, mes politiques pour que ma cible, mes collaborateurs me donnent ce que je souhaite ? ». Et ce que les RH souhaitent, c'est servir la stratégie de l’entreprise.
Il y a également la notion d’agilité, qui est souvent utilisée dans les métiers du digital mais qui pour moi devrait être appliquée dans les RH, où on observe un échec. Si « ce qu’on a mis en place ne fonctionne pas », alors il faut réfléchir à comment l’améliorer.
Pensez-vous que la rémunération va évoluer à l’avenir ?
J’aimerais vous dire que oui mais… non. Dans les entreprises les plus innovantes il se passera des choses, les processus évolueront mais sur les modèles d’entreprises classiques, les choses mettent beaucoup de temps à évoluer.
Les attentes et les besoins des collaborateurs évoluent bien plus vite et par conséquent, des à-côtés vont émerger mais il n’y aura - malheureusement - pas de révolution à ce niveau.