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Article - Intelligence artificielle

 Avec l’intelligence artificielle, l’avenir du travail se joue aujourd’hui

Portrait de Yann Ferguson, directeur scientifique de l'INRIA

L’interview tech et innovation

Questions - réponses pour comprendre l’actualité de la technologie, de l’intelligence artificielle et de l’innovation

La diffusion de l’intelligence artificielle s’accélère dans le monde du travail, bouleversant les usages, les métiers et les entreprises. Décryptage avec le sociologue Yann Ferguson, chercheur au Centre d’étude et de recherche Travail Organisation Pouvoir (CERTOP) et directeur scientifique du LaborIA, le laboratoire de recherche-action dédié à l’impact de l’intelligence artificielle dans le milieu professionnel de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA). 

Comment caractérisez-vous l’impact actuel de l’IA sur le monde du travail ?

Deux grandes dynamiques se dessinent. D’une part, on assiste depuis une dizaine d’années à l’introduction planifiée de l’IA par les entreprises et les employeurs publics, dans une logique de gains de productivité et de qualité des services. Cette mise en œuvre est restée jusqu’ici plutôt limitée aux grands groupes et aux administrations. D’autre part, se développe aujourd’hui une initiative des employés qui, depuis l’essor des IA génératives comme ChatGPT par exemple, utilisent ces outils sans validation officielle de leurs employeurs et souvent sans cadre défini.

Cette accélération des usages par les employés pousse-t-elle les entreprises à structurer leur approche ?

Oui, absolument. Beaucoup de dirigeants sont pris de court par ces usages spontanés et non maîtrisés, ce qui pose des questions de cybersécurité, de confidentialité des données et de qualité du travail produit. Certains employeurs se lancent donc dans l’encadrement des pratiques pour éviter un usage non contrôlé, mais aussi pour maximiser la valeur que l’IA peut apporter.

Comment les entreprises mettent-elles en place des stratégies IA aujourd’hui ?

On recense plusieurs types d’approche. Certaines organisations développent des solutions internes spécifiques à leur métier. D’autres contractualisent avec des fournisseurs pour proposer des IA sécurisées et adaptées à leur usage. Une troisième approche consiste à mener des expérimentations avec des groupes pilotes d’employés formés, comme l’a fait la SNCF ou la Française des Jeux. Un exemple intéressant est celui de la MAIF, qui a mis en place une convention de salariés sur l’IA générative. Une trentaine d’employés tirés au sort a été forméé pour réfléchir à la place de l’intelligence artificielle dans l’entreprise et rédiger un cadre d’usage. C’est une manière participative d’intégrer l’IA en alignement avec les valeurs de l’entreprise.


Avec l’arrivée massive de l’IA, comment évoluent les conditions de travail et le management ?

L’un des grands enjeux est en effet l’accompagnement des employés. L’IA générative est souvent perçue comme un assistant, mais son usage nécessite un apprentissage. Il faut savoir la questionner, évaluer la pertinence de ses réponses et comprendre ses limites. D’un point de vue managérial, on vit une période de transition : auparavant, il fallait convaincre les équipes d’adopter l’IA. Aujourd’hui, les directions doivent plutôt encadrer une adoption qui se fait spontanément. Cela implique un changement de posture managériale et une réflexion sur la stratégie IA globale de l’entreprise.

À quoi ressemblera le travail avec l’IA dans les années à venir ?

À court terme, l’IA d’assistance va continuer à se développer, notamment dans les métiers du service, du conseil et de la relation client. Mais nous allons aussi voir émerger des IA plus autonomes, capables de gérer des séquences complètes de tâches, ce qu’on appelle des agents IA. À plus long terme, la question clé sera celle de la confiance. Aujourd’hui, l’IA nécessite une supervision constante car elle peut produire des erreurs. L’enjeu sera de développer des IA plus fiables, capables de comprendre véritablement le monde. L’industrie cherche déjà à rendre l’IA plus robuste et à lui confier des tâches plus critiques, notamment dans la maintenance ou le contrôle qualité.

L’IA peut-elle creuser ou réduire les inégalités dans le travail ?

C’est une question majeure. L’IA peut être un facteur d’exclusion si elle accroît la fracture numérique ou remplace des emplois sans accompagnement adéquat. À l’inverse, elle peut aussi être un levier d’inclusion si elle est bien pensée, notamment en facilitant l’accès à l’information ou en soutenant les travailleurs en situation de handicap. L’IA transforme le travail de manière rapide et profonde. Si les entreprises cherchent encore leurs marques, les salariés ont déjà commencé à s’approprier ces outils, obligeant les organisations à structurer leur approche. Reste à voir si cette révolution technologique sera un moteur d’émancipation ou une source d’exclusion. L’avenir du travail se joue aujourd’hui. 

Journaliste et animatrice de conférences

Journaliste de presse écrite et animatrice de conférences, Valérie Ravinet s’intéresse aux sujets sociétaux aux croisement de la connaissance, de la…

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