En Suède, la pause-café ne souffre d’aucun grain de contestation. Manquer la pause-café est plus grave que rater une deadline. Imaginez un instant une entreprise où tout s’arrête : les réunions s’interrompent, les écrans se ferment, les échanges professionnels cessent... pour prendre un café. Non, nous ne sommes pas dans une énième mini-révolution venant de la culture startup, mais dans n’importe quelle entreprise suédoise.
Le fika est une institution culturelle en Suède. Deux fois par jour, les équipes se retrouvent autour d'un café et de pâtisseries pour parler de tout et de rien - rarement du travail. Une simple pause qui cache pourtant des bénéfices managériaux insoupçonnés.
La pause sacrée qui ne se refuse pas
Le terme fika vient de l’inversion des syllabes du mot suédois ancien pour café, kaffi. Cette sacralisation a un parfum de prohibition : au XVIIIe siècle, quand le roi Gustave III interdit le café, la haute société se retrouvait en secret dans des kaffehus pour le déguster. Une histoire qui explique peut-être pourquoi la Suède est aujourd'hui le troisième plus gros consommateur de café au monde.
Dans les entreprises suédoises modernes, le fika rythme la journée à heures fixes. Pas question de prendre son café sur un coin de bureau en scrollant ses emails ! Les entreprises aménagent des espaces dédiés et confortables où les équipes se retrouvent autour d'un café de qualité et de pâtisseries traditionnelles comme le kanelbulle, ce roulé à la cannelle emblématique. Plus qu’une simple pause, c'est un pilier de la culture d’entreprise, considéré comme essentiel pour la communication informelle et la collaboration
Une culture d’entreprise qui se sirote
D’après Geert Hofstede, professeur à l’Université de Maastricht et pionnier dans l’étude comparative des cultures nationales, la Suède se distingue par un indice de distance hiérarchique très bas. Cette particularité culturelle se reflète parfaitement dans le fika, où tous les employés, indépendamment de leur fonction, partagent le même moment. Philippe d’Iribarne, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du management interculturel, montre que chaque culture façonne ses pratiques managériales. Le fika illustre parfaitement ce postulat : les conversations informelles renforcent naturellement les liens entre collègues.
Les bénéfices dépassent le simple cadre social. Pour Christophe Haag, professeur de comportement organisationnel à l’EM Lyon Business School, ces pauses sont essentielles au fonctionnement du cerveau : prendre de la distance avec son travail et partager des moments de rire stimule la créativité et améliore notre capacité à résoudre les problèmes.
En France, la pause-café se joue en sous-titres
La France a une relation ambivalente avec la pause-café. Si 89% des salariés français s’adonnent à ce rituel quotidien selon une enquête de l’IFOP t n 2018 et que 73% des moins de 35 ans y voient un moment clé d’intégration, la pratique reste régie par des codes implicites complexes. Qui invite qui ? À quelle table s’asseoir ? Pour les plus introvertis, c’est plutôt un moment générateur de stress que de détente. D’ailleurs, 30% des salariés, notamment les seniors, préfèrent leur pause en solo.
Est-ce qu'on devrait ritualiser la pause-café en France, en s'inspirant du fika ? Comme le rappelle Philippe d’Iribarne, chaque culture développe sa propre interprétation des rites professionnels. Là où la Suède a institutionnalisé un moment de déconnexion totale, la France cultive une pause-café plus spontanée, mais aussi plus ambiguë, où se mêlent les potins et les conversations sérieuses. Car finalement, cette ambiguïté ne reflète-t-elle pas notre rapport paradoxal au temps de travail ?