
À la loupe
Chaque semaine ce que nous disent les chiffres et les études sur le monde du travail
Après des progrès observés pendant plusieurs décennies, le rythme de réduction des inégalités de salaires ralentit depuis 10 ans. L’écart moyen des revenus atteint encore les 30% en 2020. C’est ce que révèle la note publiée fin 2024 par Emmanuelle Auriol, Camille Landais et Nina Roussille pour le Conseil d’analyse économique (CAE). Le CAE qui réalise, des analyses économiques pour le gouvernement a pour mission « d’éclairer, par la confrontation des points de vue et des analyses, les choix du gouvernement en matière économique ». Cette note quantifie l’importance de trois grands types de facteurs pouvant expliquer la persistance des inégalités sur le marché du travail : l’éducation, la maternité et le déroulé des carrières.
L’école, ce vivier d’inégalités
Alors que les filles réussissent en moyenne mieux à l’école que les garçons - 85 % ont obtenu le baccalauréat contre 75 % en 2022 – et qu’elles représentent 55 % des étudiants et étudiantes à l’université, elles sont en revanche largement sous-représentées dans les filières scientifiques et techniques, et ce dès le lycée : 24,4% contre 43,6%. Des écarts d’appétence qui se manifestent dès le cours préparatoire, comme pour les mathématiques, et que l’on attribue à un manque de confiance en elles qui influe sur leurs choix d’orientation et impacte durablement leurs ambitions et opportunités de carrière.
La maternité, encore et toujours un frein
La maternité met dans la grande majorité des cas un coup d’arrêt brutal à la trajectoire professionnelle des femmes. Un chiffre particulièrement saisissant : dix ans après la naissance du premier enfant, les actives gagnent 38 % de moins qu’avant la maternité, une perte de revenu dont on constate qu’elle ne se rattrape jamais. Et qui résulte d’une triple peine : obligation d’opter pour des postes plus flexibles, diminution du temps de travail - 27,4 % des femmes à temps partiel contre 8,4 % des hommes en 2020 - et ralentissement de l’avancement. Cette « pénalité parentale » serait à l’origine de 88 % des écarts salariaux actuels entre femmes et hommes.
Une progression empêchée
Autre constat fait dans cette note, à postes similaires, les femmes progressent moins vite au sein des entreprises et accèdent plus difficilement aux responsabilités. Les promotions sont d’ailleurs 74,6 % plus fréquentes chez les hommes. Surprenant ? Pas tant que ça. L’une des raisons invoquées dans la note s’appelle « l’ask gap », autrement dit l’écart constaté dans les prétentions salariales. Encore une fois, les femmes se limitent, la faute aux stéréotypes de genre : à postes équivalents, elles demandent en moyenne 8 à 10 % de salaire en moins que les hommes, soit une différence pouvant atteindre jusqu’à 10 K€ de rémunération annuelle.
La recommandation d’un « big push »
Afin de lutter structurellement et durablement contre ces inégalités, les trois économistes sont unanimes : seule une stratégie ambitieuse, dite de Big Push, initiée au plus haut niveau de l’État, pourrait renverser la situation et permettre une bien meilleure allocation des talents féminins, vecteurs incontestés de croissance économique. Les revenus du travail représentant environ deux tiers du PIB, ces inégalités de revenus génèrent un manque à gagner équivalent à plusieurs points de PIB, freinant ainsi la productivité globale. Dès lors, quelle solution semble pertinente ? Jouer en même temps sur toutes les marges de manœuvre, durant l’ensemble du cycle de vie. Les recommandations avancées pour améliorer l’accès des femmes au marché du travail s’alignent donc sur ces fameux trois moments clés au cours desquels les inégalités se forment : lors du choix d’orientation, à l’arrivée des enfants et dans le déroulé de carrière. À ce titre, une première piste consisterait à favoriser l’accès des filles aux sciences dès l’école élémentaire, en créant des brigades d’enseignants spécialisés et en multipliant les interventions de modèles féminins issus du monde scientifique. Autre axe, réduire notablement l’impact de la maternité, d’une part en revoyant la répartition des responsabilités parentales via l’étirement du congé paternité à 10 semaines dont 6 obligatoires, et d’autre part en augmentant drastiquement l’accueil en crèches, dont on estime que 200 000 places manquent actuellement. Enfin, contraindre sous peine de sanctions les entreprises à renforcer leur transparence salariale et à indiquer les fourchettes de salaires dans la description de leurs offres d’emploi.

Journaliste généraliste indépendante
Séverine est rédactrice en chef d’ÔRIZON le magazine de l’aéroport Toulouse-Blagnac, et journaliste généraliste indépendante collaborant avec divers…