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Article - Sciences

La charge mentale est-elle un problème français  ?

jeune femme avec un air dubitatif devant un gâteau

Dans nos cerveaux

Les sciences cognitives et comportementales pour comprendre nos décisions


La notion de "charge mentale", popularisée par la célèbre bande dessinée "Fallait demander" d’Emma en 2017, s’est largement répandue dans les médias et dans les discussions professionnelles. Mais saviez-vous que ce concept est profondément enraciné dans le champ de la recherche francophone ? Une spécificité qui interroge : pourquoi cette problématique a-t-elle trouvé un écho si particulier dans les cultures françaises, canadiennes ou belges, mais reste peu diffusée, ailleurs, dans le monde ?  

Une origine solidement ancrée dans le monde francophone  

La "charge mentale" telle que nous la comprenons aujourd’hui tire ses racines des travaux de sociologues francophones. La thèse pionnière de Monique Haicault en 1984, "La gestion ordinaire de la vie en deux", a été l’une des premières à conceptualiser la superposition des responsabilités domestiques et professionnelles, notamment pour les femmes. Ce n’est donc pas un hasard si cette notion a émergé dans des pays où les tâches sont inégalement réparties entre les femmes et les hommes et où cette "charge invisible" est souvent associée à un sentiment de double peine.  

En parallèle, des chercheurs canadiens tels que Diane-Gabrielle Tremblay ont également contribué à la réflexion en liant la charge mentale à des normes sociales qui favorisaient une répartition inégalitaire des tâches domestiques. Cependant, au-delà de la sphère francophone, le concept trouve difficilement son équivalent. Les anglophones le traduisent par "mental workload" ou "mental burden", mais ces termes restent flous et peinent à intégrer pleinement les dimensions sociale et émotionnelle que la recherche francophone a fait émerger.  

Une perception culturellement influencée  

Ce tropisme francophone repose sur un contexte historique et culturel particulier. En France, la reconnaissance des tensions entre vie professionnelle et personnelle a toujours été un sujet sensible. Des lois sur le temps de travail (congés payés, 35 heures, droit à la déconnexion) témoignent d’une volonté sociale et culturelle de préserver un équilibre, un besoin que d’autres cultures valorisent moins. Aux États-Unis, par exemple, le concept de "mental workload" est davantage exploré en lien avec la productivité ou les performances cognitives, sans inclure les responsabilités domestiques ou l’épuisement émotionnel.  

On pourrait aussi se demander si la réflexion autour de la charge mentale n’est pas exacerbée dans les sociétés où l’idéologie égalitaire place des attentes élevées sur les individus et les organisations. Cet idéal peut parfois rendre les déséquilibres plus perceptibles, augmentant ainsi la pression ressentie.  

Et dans l’entreprise ?  

Cela signifie-t-il que la charge mentale est un problème uniquement francophone ?  
Bien sûr que non.  
Cela conduit à en faire un sujet légitime de réflexion dans les entreprises en France et dans les pays francophones, notamment dans les démarches de prévention des risques psychosociaux (RPS). Selon une étude de l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité), publiée en 2022, 64 % des salariés français déclarent souffrir de surcharge mentale au travail, un chiffre en forte hausse depuis 2017.

Pourtant, le monde de l’entreprise dispose aujourd’hui de leviers pour agir. Les neurosciences cognitives, par exemple, proposent des clés pour comprendre comment notre cerveau gère les sollicitations multiples. Des pratiques issues de la gestion du stress, comme la mindfulness, ou des méthodes d’organisation (matrice d’Eisenhower, capacité à dire "non") se montrent efficaces.  

La charge mentale traverse les disparités culturelles

La charge mentale est autant un phénomène universel qu'une construction culturelle. Les chercheurs francophones ont posé des mots sur une réalité vécue par des millions de personnes, mais qui reste peu formalisée dans d’autres contextes. Dans un monde du travail en constante évolution, il est essentiel de continuer à former et à sensibiliser les organisations à ces enjeux, tout en adaptant les réponses aux particularités culturelles. Car, si la charge mentale n’est pas un concept exporté partout dans le monde, ses conséquences, elles, n’épargnent personne. 

 

Consultant et expert en neurosciences

Michel Abitteboul est consultant en communication et expert en neurosciences. Il a dirigé la communication de grandes entreprises internationales…

Dans nos cerveaux

Au travail comme à la maison, les sciences cognitives et comportementales nous permettent de comprendre de plus en plus finement la complexité de nos comportements et des processus cognitifs qui les sous-tendent. Mémoire, fonctionnement psychologique et organisationnel, charge mentale ou charge émotionnelle : chaque chronique explore les méandres de l'esprit humain à travers le prisme des sciences cognitives et comportementales.

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